mercredi 13 janvier 2010

Chapitre 1

Lui

— Je voudrais lever mon verre aux jeunes mariés qui..
C’était le troisième à prendre la parole. Pourquoi faut-il que les gens se sentent obligés de faire des discours dans ce genre de soirée ? Précision. Pourquoi faut-il que les gens ayant le moins de talents oratoires et le moins d’humour se sentent obligés de prendre la parole dans ce genre de soirée ?
Pour la troisième fois, je subissais les propos supposés drôles, mais surtout assommants, d’un ami du couple que nous fêtions ce soir.
Au départ, je ne voulais pas y aller. Disciple de Brassens je pense que lorsque l’on est plus de trois on est une bande de cons. Là les limites étaient allégrement franchies. Circonstances aggravantes il y avait de l’alcool, ce qui en règle générale ne rend pas les gens plus intelligents.
Donc, je ne voulais pas y aller. En dehors du fait que je n’aime pas les rassemblements de plus de trois personnes, j’ai horreur de ces événements où l’on est obligé d’être content. Pas pour soi, mais pour les mariés, pour qu’ils aient un bon souvenir du plus beau jour de leur vie, des visages souriants des gens qui s’amusent, des parents qui dansent, des amis qui boivent. Par esprit de contradiction dans ce genre de circonstance, je fais la gueule. Au moins, s’ils divorcent, ils pourront m’accuser d’avoir gâché leur mariage, ils auront un bouc émissaire pour leur défaite. Celui qui a plombé l’ambiance, a tout fait foirer dès le départ.
Si j’étais là, à écouter les platitudes d’un type que je ne connaissais pas, et que par chance je ne devrais pas recroiser de ma vie, à moins que le destin qui ne manque pas d’humour ne s’en mêle, c’était à cause de la pression familiale. Le marié était mon cousin, je ne pouvais pas me soustraire à cette obligation. J’avais pourtant essayé de négocier, rien à faire, sous peine d’être renié, déshérité, banni, voire écartelé en place publique, pas question de me faire excuser.
Écoutant d’une oreille distraite les banalités qui n’en finissaient pas de sortir de la bouche du plus mauvais orateur que la terre ait jamais porté, je me demandais ce qui était le pire, être obligé de porter costume et cravate, d’avoir à subir une messe, le repas affreux, mes compagnons de table, ou la mauvaise musique servie par un D.J. forcement sourd. Je n’allais pas tarder à avoir la réponse.
Quand enfin le grand orateur en eut fini de vanter les vertus du mariage, de l’amour et de toutes ces choses qui me font vomir, surtout quand elles sont servies avec aussi peu de talent, une main vint se poser sur mon épaule.
— Alors, et toi, quand est-ce que tu vas te marier ?
La main appartenait à une vieille tante que je n’avais pas vue depuis une éternité. Je ne peux pas dire que je la croyais morte puisque j’avais oublié jusqu’à son existence. Il lui revenait le trophée de la remarque que je redoutais depuis le début, tout en sachant que je ne pourrais pas y échapper. J’avais eu droit à toute la panoplie « Qu’est ce que tu as grandi », « Tu ressembles de plus en plus à ton père », « Tu te souviens de moi ? Pourtant, on s’est vu il y a 20 ans. », etc...
Un coup d’oeil à ma montre m’indiqua que j’avais réussi à tenir jusqu’à 22 h 37. Pas mal. Mais voilà, étais-ce à cause de la logorrhée qui s’était déversée dans mes oreilles, du mauvais vin, du saumon que je soupçonnais de ne pas être de la première fraîcheur, des tronches de cons que j’avais supportés à ma table, de la fatigue, la remarque dite sans provocation par cette vieille tante dont j’ignorais le nom provoqua en moi une montée de colère. C’était la goutte proverbiale. J'aurais pu faire le dos rond, sourire poliment à la vieille tante et reprendre ma discussion avec mon verre de vin, à défaut de pouvoir parler à mes compagnons de table.

Elle

J’étais bien. J’avais retiré mes chaussures qui désormais seules sur le plancher avaient cessé de me torturer les pieds. Sans être extraordinaire le repas avait été assez bon, le vin agréable. Certes je m’étais retrouvée à une table composée quasi exclusivement d’informaticiens et ne n'avais pas compris un traître mot de leur conversation. Tout au contraire, je comprenais très bien pourquoi ils étaient tous célibataires. Il doit être difficile de séduire quand vos discours sont composés de termes barbares comme browser, update, protocole java, firewall, processeur cadencé, et autre évolution majeure d’OS. Par chance, je n’étais pas la seule à me sentir perdue, et j’avais trouvé une alliée précieuse pour ma santé mentale en la personne de ma chère soeur Liz. Avec elle j’avais pu tenir des propos censés, mais pas trop complexes non plus, maquillage, chaussures et potins furent au menu. Mais les alliances les plus solides peuvent voler en éclats quand un beau mec vous propose d’aller faire un tour sur la piste de danse. Même si elle n’était pas le moins séduite par le charme ringard du jeune homme, Liz accepta son invitation. Je me retrouvais à nouveau seule, jouant distraitement avec un reste de pain, perdue dans mes pensées, hochant poliment la tête quand un des geeks m’adressait la parole.
La mariée virevoltait sur la piste au bras de son époux. Je pensais à nos étés dans la maison de nos grands parents, quand ado elle me racontait son mariage idéal. Elle avait l’air d’avoir réalisé son rêve, elle rayonnait. Si elle n’avait pas été ma cousine, si elle n’avait pas insisté pour que je sois là, je ne serais pas venue. Une vague de mélancolie monta en moi. J’étais à deux doigts de quitter la salle pour aller pleurer dans les jardins. Et peut-être, partir.
L’orchestre cessa de jouer, à la table des mariés quelqu’un se leva, fit tinter son verre et se lança dans un nouveau discours plat, creux, vide, et soporifique. Je ne pouvais plus partir. Je dus attendre la fin des platitudes. De nouveau je me laissais flotter dans des rêveries. Je revoyais les canaux vénitiens. J’y restais longtemps, au point de ne pas m’apercevoir que le génial orateur avait fini depuis longtemps quand du fond de la salle une voix se fit entendre avec fracas.
— Voyez-vous chère vieille tante dont j’ai oublié le nom, il y a peu de chance que vous assistiez à mes noces. D'abord parce qu’à vous voir ce soir je peux affirmer que vous n’en avez plus pour longtemps sur cette bonne vieille Terre. Impression renforcée par ce que m’a dit ma grand-mère il y a quelques heures. Propos que je n’ose répéter devant vous tant ils étaient chargés de violence. Ensuite, parce que même si je suis sadique je ne souhaite pas imposer au peu d’amis qu’il me reste le genre de torture mentale que je subis depuis des heures. Enfin, et c’est sans doute le plus important, je suis célibataire, et je compte bien le rester le plus longtemps possible. Ce n’est pas une situation que je recherchais, mais la vie en a choisi autrement, et pour tout vous dire je ne m’en porte pas plus mal. Sentiment renforcé après cette soirée passée au milieu de vos têtes compassée, présente et à venir comme dirait l’autre. Le mariage est la dernière chose à laquelle je pense. La première à cet instant précis est le suicide, collectif de préférence, si en plus il pouvait toucher l’ensemble de l’assistance au moment où je vous parle ça serait l’idéal.
Après une envolée lyrique qui avait réveillé tous ceux que le précédent orateur avait endormis, son auteur quitta la salle.